L’Isère a été touchée par trois importantes crues le 15 novembre, 1er et le 12 décembre dernier. Ces phénomènes ont été causés par la confluence de plusieurs facteurs : des cumuls de pluie importants, une fonte nivale significative, des sols profondément saturés en eau et des affluents déjà fortement chargés.
Un évènement pluvieux à l’origine de la crue du 15 novembre
La crue des 14 & 15 novembre 2023 intervient dans un contexte de redoux avec des précipitations intenses dans le département de la Savoie qui ont amplifié la fonte nivale. L’exploitation des cartes radar montre que les précipitations ont principalement affecté la Tarentaise et l’Arly. Il convient de noter que le 15 novembre le département de l’Isère n’a pas été affecté par des pluies. Le pic de crue a été observé sous un soleil radieux ce qui est une situation rare en crue…
Le cumul de précipitations entre le 12 et le 15 novembre sur les postes de Haute-Tarentaise, de l’Arly ou du Beaufortain atteint jusqu’à 100-110 mm. L’augmentation de température en altitude (alt. > 1600 m) entre le 12 et le 15 novembre dépasse 10°C. La fonte du manteau neigeux enregistrée pendant cette période aux stations Nivose Le Chevril en Haute Tarentaise et Bellecote en Vanoise est de 20 cm (soit environ l’équivalent de 20 mm supplémentaires de pluie).
La séquence de l’évènement est comparable à celle observée pendant quelques crues majeures de l’Isère. Un redoux d’au moins 4 °C a aussi été observé pour les crues survenues le 11 février 1711, le 21 décembre 1740, le 2 juillet 1777, le 27 octobre 1778, le 31 mai 1856 et le 2 novembre 1859 (Guetny, 2004).
En un mois, Grenoble a vu passer une crue vingtennale (1040 m3/s le 15 novembre) une quinquennale (760 m3/s le 2 décembre) et une crue décennale (930 m3/s le 13 décembre).
Une gestion 24/24h pour les équipes du SYMBHI
Dès l’émission des bulletins de vigilance émis par le SPC (Service de Prévention des Crues), c’est toute une organisation de crise qui est mis en place au SYMBHI, avec des agents mobilisés jour et nuit.
Tout au long de ces épisodes, nos équipes ont informé les acteurs locaux et mis en place une gestion de crise pas à pas. Les divers acteurs, incluant les services de l’État, les communes, les EPCI et le Département de l’Isère, ont travaillé en étroite collaboration pour sécuriser les zones touchées par les crues, fermer les voies vertes pendant que le SYMBHI vérifiait l’état des digues et des ouvrages hydrauliques.
Le débit le plus important, 1040 m3/s, observé à Grenoble le 15 novembre, s’est révélé être le plus élevé depuis plus d’un siècle et pourtant on ne déplore pas de dégâts et d’inondations notables. Pourquoi ?
« Isère Amont » pour protéger la métropole grenobloise
Entre 2012 et 2022, le SYMBHI a conduit le projet “Isère Amont”, couvrant 29 communes de Pontcharra à Grenoble, et visant à protéger 300 000 habitants. D’un coût de 135 millions d’euros, ce projet a été conçu pour protéger la métropole grenobloise et les communes du Grésivaudan contre une crue de période de retour de 200 ans* qui correspond approximativement à la valeur de débit de pointe estimée de la crue de 1859 (1890m3/s à Pontcharra). Il permet également de protéger les zones agricoles jusqu’à une crue de période de retour de 30 ans.
Avant ces aménagements, on estime que les dommages pouvaient atteindre jusqu’à un milliard d’euros en cas de crue majeure, sans compter les pertes de chiffre d’affaires.
Pour atteindre ces objectifs, le projet s’est basé sur plusieurs stratégies :
- Réduire les crues en amont de l’agglomération de Grenoble en créant 16 champs d’inondation contrôlée (CIC) où la crue s’étale dans des zones agricoles et naturelles ;
- Renforcer et rehausser localement la ligne de digues existantes longeant l’Isère ;
- Restaurer la capacité d’écoulement du lit de l’Isère par des opérations de terrassement et la création de plages de dépôt.
* qui a une chance sur 200 de se produire chaque année
Les aménagements spécifiques du projet « Isère Amont » et leur mise en œuvre lors des crues
Face aux dernières crues, et plus spécifiquement sur la crue du 15 novembre, plusieurs dispositifs se sont donc montrés particulièrement efficaces :
- Le renforcement des digues et le contrôle du développement des îles végétalisées et des dépôts de sédiments dans le lit de l’Isère ont permis d’éviter les brèches dans les digues. En effet, avant la réalisation des travaux, on estimait qu’au-dessus d’une crue décennale (910 m3/s à Grenoble), les digues étaient surversées et toute la plaine agricole entre Saint-Ismier et La Tronche en rive droite et entre Le Versoud et Gières en rive gauche était inondée, ainsi que les zones urbaines basses des communes de Meylan, La Tronche, Domène, le Versoud et Muriannette.
- La mise en route de stations de pompage a permis d’éviter que l’Isère ne remonte dans des affluents tout en évacuant l’eau provenant des chantournes. Elles sont au nombre de deux sur le projet Isère Amont : celle de Cheminade, située sur la commune de Murianette, protégeant les zones urbanisées de Gières, Murianette et Domène ainsi que les plaines agricoles des mêmes communes et celle de la Tronche, au niveau du CHU (dont la gestion a été confiée à Grenoble Alpes Métropole).
- La mise en eaux d’un des Champs d’Inondation Contrôlée (CIC), celui de Lumbin-Crolles, et des forêts alluviales, a permis dans une moindre mesure de modérer l’impact
de la crue en dérivant de l’eau en excès. L’objectif principal est de permettre à l’eau de déborder en zone naturelle et agricole afin de réduire le débit de l’Isère dans la traversée de la Métropole grenobloise. On ne compte pas moins de 16 CIC sur l’ensemble du projet Isère Amont. Les agriculteurs sont indemnisés en cas de mise en eau de ces CIC.
La forêt alluviale reconnectée à l’Isère
Le SYMBHI a entrepris de revitaliser un environnement naturel tout à fait remarquable : la forêt alluviale. En dépit de sa rareté en Europe, une forêt alluviale constitue un écosystème d’une riche biodiversité et ayant des rôles majeurs dans le cycle de l’eau. En effet, par sa capacité à filtrer l’eau avant son retour dans la nappe phréatique et à soutenir des niveaux d’eau en période de sécheresse, une forêt alluviale offre des bénéfices environnementaux précieux.
Avant l’effort de réhabilitation du SYMBHI, la forêt était coupée de la rivière par des digues. Afin de reconnecter 330 hectares avec le cours d’eau, nous avons procédé à “l’effacement” partiel des anciennes digues le long de l’Isère et à la construction de nouvelles en bordure de la forêt. Ces nouvelles digues ont pour fonction de contenir l’eau en cas de crue exceptionnelle, tout en permettant aux crues plus modestes d’inonder la forêt.
Au total, plus de 13 kilomètres de digues ont été ‘effacées’ et 6km reculées dans le cadre du projet “Isère Amont”, dans l’objectif de redonner à l’Isère un espace de respiration.
Les crues en aval de Grenoble
Suite à l’apport cumulé des eaux de l’Isère Amont et du Drac, le débit a atteint un sommet de 1500 m3/s environ lors des crues des 15 novembre et 12 décembre, selon les mesures prises à la station de Saint-Gervais.
2km en aval du pont de Saint Quentin jusqu’au pont de Saint Gervais, une surveillance continue a été pratiquée par le SYMBHI , endroit où les digues présentent des risques de brèche dès 1150m3/s. Des refoulements localisés ont eu lieu dans les plaines agricoles, particulièrement dans les zones basses et aux confluences avec certains affluents comme la Fure et la Morge.
“Les trois crues consécutives que nous avons subies ont mis en relief l’importance de nos efforts en matière de gestion des crues. Face à ces défis, les 135m€ HT investis sur le projet ‘Isère amont’ pour gérer les crues et restaurer les milieux naturels ont montré leur efficacité. Toute la plaine à l’aval de Saint-Ismier et du Versoud aurait été inondée le 15 novembre 2023 si ce projet n’avait pas été réalisé, ainsi qu’une partie des zones urbanisées de Meylan, La Tronche, Murianette et Domène. L’engagement sans faille de nos équipes, qui ont travaillé sans relâche, jour et nuit, a permis de s’assurer du bon fonctionnement des ouvrages. Ensemble, ces éléments ont permis de sécuriser nos territoires et de minimiser les impacts potentiels. Cela souligne l’importance de la gestion intégrée et globale des rivières ainsi que l’engagement et la détermination de nos équipes lorsqu’il s’agit de protéger notre région et ses habitants.” – Le Président du SYMBHI, Fabien Mulyk.
En période de crue, le SYMBHI peut s’appuyer sur plusieurs outils de gestion de crise : · Un dispositif d’astreintes permettant de mobiliser une astreinte de sécurité et une astreinte de décision 365 jours/an, 24h/24. · Une mallette de gestion de crise au format physique et au format informatique, constituée d’outils opérationnels (cartes, répertoires de contacts, consignes de gestion des ouvrages, données hydrologiques, …) et d’outils d’aide à la décision (procédures, fiches réflexes, …). · Des entreprises sous contrat mobilisables dans les cas d’urgence ou de force majeure. |