Histoire du Drac
Le Roman du Drac
Cette petite histoire des endiguements successifs du Drac dans le bassin grenoblois a de quoi surprendre ses riverains contemporains. Si l’on devait en établir un résumé, on pourrait dire : « Chassez le Dragon… il finit toujours par revenir en grondant ! ».
Pour relater l’histoire du tracé du Drac dans le bassin grenoblois, sans doute convient-il de remonter au fameux déluge du lac Saint-Laurent. A partir de 1191, suite à l’énorme éboulement de la Petite Vaudaine [1], un lac artificiel s’était formé dans la plaine de Bourg-d’Oisans. Du fait de pluies diluviennes survenues en septembre 1219, la digue rocheuse vola en éclats sous la poussée des eaux, délivrant une gigantesque lame d’eau qui suivit le cours de la Romanche, puis celui du Drac, emportant tout sur son passage. Dans la cuvette grenobloise, l’eau dépassa de neuf mètres son niveau habituel. Bilan : des milliers de morts jusqu’à Grenoble où se déroulait la traditionnelle fête de la Sainte-Croix !
Les crues du Drac répertoriées à la fin du 14e siècle sont à l’origine d’un vaste chantier qui a des conséquences encore aujourd’hui : il a conduit à déplacer son lit principal vers l’ouest, entre le rocher du Petit Rochefort et celui du Mollard, là où perche encore aujourd’hui le château d’eau désaffecté de Pont-de-Claix. Auparavant, la branche mère du Drac contournait le Mollard et traversait le terrain aujourd’hui occupé par Rhône-Poulenc, avant de se diriger vers le quai de la Trésorerie de Grenoble (le Jardin de Ville) et se jeter dans l’Isère.
Pour dévier la branche mère, il fallut approfondir la passe entre les deux rochers de Claix, mais aussi construire, en rive droite, une digue ne laissant passer que le « petit Drac » (le Draquet). Celui-ci prenait la direction d’Echirolles avant de rejoindre l’Isère, en amont de Grenoble, au niveau du quartier de l’Ile Verte ! Cet ouvrage de protection étant régulièrement submergé et les riverains mécontents, la digue Marceline fut entièrement reconstruite en 1593, entre le Mollard et le coteau de Champagnier. Contraint d’abandonner son petit bras, le Drac s’écoule depuis entre les deux rochers liés par le Pont Lesdiguières construit lui entre 1608 et 1610.
Sautes d’humeur
C’est le 17e siècle qui a vu le Drac connaitre sa plus grande expansion dans la plaine. Traversant en aval ce qui constituait auparavant le « Port de Claix » [2], le Drac n’a guère apprécié qu’on le force à se rapprocher du Vercors. Dès 1675, Colbert mit beaucoup de zèle et de moyens pour juguler ses sautes d’humeur. A partir du Rocher de Comboire, le « torran Drac » tressait de nombreuses « brassières », avec une fâcheuse tendance à vouloir retrouver son chemin d’orient… celui qui menaçait les remparts de Grenoble, quand ce n’était pas pour y pénétrer et causer des ravages. Autre souci : ses eaux impétueuses se déversant dans l’Isère à quasi angle droit, elles empêchaient son écoulement normal. Les eaux en provenance du Grésivaudan étaient souvent contraintes d’y retourner, inondant Grenoble au passage.
La solution : creuser un chenal rectiligne bordé de digues pour le Drac. Avec le Canal Jourdan construit entre 1684 et 1686, on tenta – pour la seconde fois – de déplacer le torrent vers l’ouest, mais le gros œuvre ne fut pas terminé ! Suite à plusieurs alertes, le Drac bouscula ses digues en 1733, provoquant – par reflux de l’Isère – l’une des trois plus grosses inondations que Grenoble ait jamais connu. Après de nouveaux et longs atermoiements, et surtout le déluge de la Saint Crépin (1778) dû à l’Isère, le canal Jourdan fut enfin achevé, et les deux digues continues – celles qui contiennent le Drac encore aujourd’hui – érigées en lieu et place d’inefficaces alignements interrompus.
Restait à régler le problème de la confluence Drac-Isère. En 1782, elle est une première fois déplacée vers l’aval, en face de Pique Pierre. Il faudra attendre 1821 pour que la digue gauche du Drac soit prolongée jusqu’à Sassenage et que la confluence soit définitivement calée face à Saint-Egrève.
Un cours sur la digue
L’aménagement progressif du Drac a aussi permis, non loin de son lit, celui que certains considéraient à l’époque comme étant « le plus beau cours de France ». Long de 8 km et portant le nom de son concepteur, le cours Saint-André [3] a été construit entre 1660 et 1684, sur demande de François de Bonne, duc de Lesdiguières. Destiné à mieux circuler vers le sud, cet ouvrage qui file droit dans les anciennes « brassières » du Drac était aussi une « œuvre contre le Drac » ! En effet, il était longé par quatre fossés drainant les eaux de la vallée et « soutenu par des murs ». Par là, il faut entendre des rangées de pierres ou d’enrochements, ce qui permet de dire que le cours avait aussi une fonction de protection arrière, de digue reculée.