Crue de 1948
1948 : 8 000 hectares inondés dans le Grésivaudan
« Inondations catastrophiques dans tout le sud-est », telle est la une des Allobroges du 21 juin 1948. Le même jour, le Dauphiné Libéré titre lui sur huit colonnes : « L’Isère rompt ses digues et submerge la vallée du Grésivaudan de Voreppe à Tullins. La route Napoléon coupée dans le Champsaur. Un pont emporté près de Bourg-Saint-Maurice ». Plus bas, il est précisé : « Un véritable désastre vient de s’abattre sur la riche plaine du Grésivaudan. Il dépasse en ampleur celui de 1928, et égale celui de 1914, présent encore à toutes les mémoires ».
Soixante ans plus tard, ce 20 juin 1948 reste lui aussi présent dans le souvenir des plus anciens. Dès les jours suivants, un premier bilan fait état de 8 000 hectares de terres inondées, et d’au moins 800 millions de dégâts. En amont de Grenoble, toute la plaine au niveau de Bernin, Crolles, Saint-Nazaire, Brignoud est cernée ou sous les eaux, rendant la circulation difficile. En aval de Grenoble, la situation est bien plus grave puisque, entre Le Fontanil et Tullins, 6 300 ha sont recouverts d’une hauteur d’eau dépassant parfois 3,50 m. La voie ferrée Grenoble-Lyon et Valence est complètement submergée – sur plusieurs centaines de mètres – entre Le Chevallon-de-Voreppe et les abords de la gare de Moirans. Partout, la situation est telle que certains s’imaginent que les barrages du Chambon et du Sautet ont sauté… Heureusement, il n’en est rien.
Des milliers d’hectares qui ne sont plus que marais
A Grenoble, de très nombreuses caves sont inondées, le quai Charpenay est sous un mètre d’eau, l’Isère atteint la hauteur des lavoirs du quai Perrière et charrie de gros arbres, des cadavres d’animaux… Mais, au premier jour de l’été, le retour du soleil permet à l’Isère de s’assagir, « au point même que son étiage est inférieur à celui des eaux épandues dans la vaste et riche vallée… » Comme le relate la presse de l’époque, le problème est donc de « refouler le flot vers la rivière », et c’est au Génie qu’est confiée cette mission, sous le regard bienveillant des Ponts & Chaussées. Ce sera chose faite dès le lendemain : « pour faire sauter le bouchon des digues » (sic), trois brèches sont ouvertes à la dynamite en aval de Tullins, permettant ainsi le retour des eaux dans le lit de l’Isère.
Dès le 24 juin, les journaux locaux parle enfin de décrue générale. Le moral et le baromètre remontent, la côte de l’Isère à Grenoble n’est plus que de 1,81 m (pour une côte de sécurité fixée à 2 m), alors que quelques jours plus tôt elle avait atteint 3,08 m. Comme toujours, les questions commencent à poindre ? La fonte des neiges conjuguée avec la pluie, cela explique–t-il tout ? « Qu’attend-on pour aménager le cours de l’Isère ? » Et devant ces milliers d’hectares qui ne sont plus que marais, devant la note qui selon le Dauphiné Libéré du 23 juin « dépassera le milliard de francs », on reparle d’incurie, d’imprévoyance… Et on refait l’éternel constat : « On ne fait pas les travaux nécessaires en temps voulu, on attend la catastrophe, et alors les dépenses sont centuplées ».
1948 : La plaine de Moirans sous les eaux
La crue de 1948 est encore présente dans la mémoire collective des moirannais témoins de l’événement. On se souvient de la rivière qui, entre le Fontanil et Moirans, ne formait plus qu’un immense lac de 15 km de long sur 4,5 km de large. La plaine de Moirans a été totalement inondée. Particulièrement éprouvés, les habitants des Iles sont traumatisés. Retour sur cette crue catastrophique qui fort heureusement ne fit aucune victime.
L’été 1948 arrive, les foins ne sont pas encore rentrés et les récoltes s’annoncent prometteuses. Mais la météo est capricieuse : il pleut beaucoup depuis quelques jours dans la région. Samedi 19 juin, un scénario déjà connu va se répéter : les eaux tumultueuses du « Serpent et du Dragon », surnoms donnés autrefois par là population à l’Isère et à son affluent, le Drac, se sont rejointes… Une nouvelle fois Moirans est inondé.
Alerte !
A 14 h, la sirène d’alarme est déclenchée. Les digues sont rompues entre le Fontanil et Voreppe. A 16 h, une nouvelle brèche s’ouvre dans la digue à hauteur de la propriété Oddos à Moirans. Les prémices d’une catastrophe sont annoncées. Les secours sont rapidement organisés en collaboration avec les Ponts-et-Chaussées et les élus locaux. Le préfet de l’Isère, M. Reynier se rend à Moirans. Les soldats du 4e régiment du génie interviennent, avec le renfort des pompiers et de la population. En soirée, l’eau monte toujours. Georges Martin – maire de Moirans – et les maires du Fontanil et de Voreppe, prennent la décision de faire évacuer les habitants et le bétail des fermes menacées. A 22 h, au-dessous de Voreppe, la digue cède à son tour face au bec de I’Echaillon. A 23 h 20 : la digue du Palluel est emportée. Rapidement, toute la plaine de Moirans est inondée.
Dimanche matin, une nouvelle rupture de digue se produit. Au lever, les habitants mesurent l’étendue du désastre. Un flot boueux s’est déversé dans les maisons et les terrains agricoles. Pas de doute, le spectacle de désolation impose de quitter rapidement les lieux. L’eau atteint 1,20 m à l’Ile Bernard et gagne déjà le premier étage de plusieurs fermes. Les habitations sont évacuées à l’aide de barques. Arrivée jusqu’au Café Maillot, vers la gare, et à quelques centaines de mètres du passage à niveau de la Galifette, l’eau se serait arrêtée à environ 300 m des cités ouvrières Martin.
Le ravitaillement s’organise : distribution de lait en poudre, pâtes alimentaires, couvertures, pour les habitants sinistrés, fourrages pour les animaux. Toute la riche et fertile vallée agricole du Grésivaudan est submergée. Au total, environ 8 000 hectares de maïs, blé, foin, pommes de terre, fruits, vignes sont anéantis. Si les dégâts sont importants à Pontcharra et Brignoud, le Bas Grésivaudan et plus particulièrement les communes de Voreppe et Moirans, sont touchées (Tullins, Veurey, Saint-Quentin ne seront pas épargnés)… A Moirans, environ 1 200 hectares sont sous les eaux. 120 foyers groupant 420 personnes sont sans abri dans le secteur des Lies. Consolation : la quasi-totalité du bétail a pu être sauvée à Moirans : 552 bêtes sont évacuées, 138 bêtes sont transférées en alpage (250 hectares ont été cédés par les Eaux-et-Forêts) et 557 bêtes sont restées sur place. En amont de Grenoble, les paysans n’ont pas tous eu cette chance : plusieurs bestiaux (veaux, moutons, volailles, quelques chevaux) ont été emportés par le courant.
La Route Nationale est envahie par les eaux du Pommarin et la circulation routière est coupée entre Moirans et Voreppe. Le transport ferroviaire (ligne Lyon-Grenoble) est également interrompu pour plusieurs semaines. Les trains sont stoppés à Moirans. Les voies de communication sont totalement coupées entre Grenoble, Valence et Lyon.
Le soleil revient…
Mardi matin, on constate les dégâts et on fait les comptes… La catastrophe est évoquée à l’Assemblée Nationale. Les Députés de l’Isère, – Messieurs Bonnet, Grimaud, Terpend, et Novat, Conseiller de la République MRP [1] -adressent un télégramme à Robert Schuman, Président du Conseil pour demander un secours d’urgence pour les populations sinistrées. Le Progrès titre à la Une du 22 juin 1948 : « Un demi milliard de dégâts dans la plaine inondée de l’Isère » [2], ce qui évidemment représente pour les communes une somme d’argent considérable.
Un programme national de secours aux sinistrés est mis en place et les populations seront indemnisées à l’automne 1948. Fatalité ? Négligence ? Chaque catastrophe donne un regain d’actualité à l’aménagement de l’Isère. Les projets sont en effet nombreux mais faute d’argent – la guerre impose d’autres priorités – ils dorment dans des dossiers. En attendant le déblocage de crédits on pare, comme pour toutes les inondations, au plus pressé, et les travaux sont partiellement réalisés. Mais l’inondation de 1948 marque profondément l’opinion publique. Le Conseil Municipal de Moirans réuni le 23 juin proteste contre le manque de mesures prises par les pouvoirs publics qui conduit les cultivateurs d’une des régions « les plus riches du pays » à abandonner peu à peu les terrains inondés. Il demande à ce qu’un projet soit arrêté « le moins coûteux », en raison d’une situation financière déjà très difficile.
Depuis 1948 l’Isère et le Drac n’ont pas eu de crues importantes [3]. Il faudra cependant attendre les années 1960-1970 pour que de gros travaux d’aménagement soient engagés : endiguement des points sensibles, renforcement et élévation des digues existantes, construction de canaux, réalisation de dragages massifs des lits de l’Isère et du Drac. La dernière inondation de Moirans est récente : elle n’est pas due à l’Isère mais à la rivière de la Morge qui a débordé en décembre 1991.
Anne-Marie Coste, Archives municipales de Moirans.
[1] MRP : Mouvement Républicain Populaire.
[2] 500 millions d’anciens francs = 75 millions de nouveaux francs en 1990. A titre de référence le budget de la commune de Moirans en 1948 était de 3 100 000 F (anciens francs) ce qui équivaut à 465 000 F (nouveaux francs).
[3] L’Isère aurait une nouvelle fois débordé en 1955.
1948 : les réparations de la brèche du Palluel
Au niveau de la courbe de l’Echaillon, l’Isère décrit une courbe assez prononcée. En rive droite, la rivière est maintenue dans son lit par une digue. Derrière cette digue s’écoule le canal du Palluel – lui aussi endigué – dont la confluence avec l’Isère se trouve 800 m à l’aval. Le Palluel draine les eaux de toute la rive droite de la plaine de Voreppe et du Fontanil Cornillon, soit 4 000 ha de bassin versant). Le samedi 19 juin 1948, suite à de fortes précipitations, au niveau du Bec l’Echaillon, l’Isère est partie droit devant elle, emportant au passage la digue séparant les eaux de l’Isère et du Palluel, et juste derrière la digue du Palluel bordant la plaine de Moirans.
Voici un témoignage recueilli à l’époque, celui de M. Mathieu, ingénieur des ponts et chaussées : « Vers 13h00, l’Isère en crue atteint la cote de 5 m 10 à l’échelle limnimétrique du pont de Veurey. Vers 13 h 30, deux brèches se produisent dans la digue rive droite, au lieu-dit « Le Pigeonnier » situé sur la commune de Voreppe. La première fait 70 m au PK 62.100 et la seconde 60 m au PK 63.000. Entre le Fontanil et la Roize, la plaine de Voreppe est alors inondée sur une surface de 550 ha. Vers 18 h 00, les eaux atteignent la partie aval du champ d’inondation. Elles s’écoulent par le goulet du Palluel dont la digue rive droite est submergée sur presque toute sa longueur (1km). Vers 20 h 00, une brèche s’ouvre dans cette digue au droit de la ferme Battendier (PK 67.300). Les eaux s’engouffrent dans la plaine sur une largeur de 110 m, avec une vitesse de 4 à 5 m/s due à la dénivellation importante entre la ligne d’eau de l’Isère et les terrains de la plaine (3, 90 m). Par suite de la grande vitesse des eaux dans le Palluel, la digue de l’Isère côté terre est affouillée sur une longueur de près de 1 km. Deux brèches de 120 m chacune se forment alors dans cette digue au droit de la brèche du Palluel dans la nuit du 19 au 20 juin ».
Dans la plaine de Moirans inondée, les dégâts sont considérables. En rive droite, la digue de l’Isère est rongée sur 600 m et emportée en deux endroits sur une longueur totale de 250 m. La digue du Palluel est elle balayée sur 120 m. Dès le 24 juin, des ouvriers sont à pied d’œuvre pour permettre les deux cours d’eau dans leur droit chemin. Il est décidé que la priorité est de fermer la brèche du Palluel, en fixant les deux lèvres en sablon, en obturant la brèche avec des gabions immergés par couche horizontale, puis en la colmatant avec des matériaux provenant de carrière.
Les travaux commencent par la construction des chemins d’accès et se poursuivent début juillet par la construction de la passerelle d’échouage des gabions : un pont avec tablier à poutrelles enrobées dont les culées sont coulées à l’intérieur de deux enceintes en palplanches ce qui les rends inaffouillables. Deux équipes se relient dix heures par jour jusqu’au 1er août, jour du colmatage de la brèche du Palluel. Vient alors le moment de construire la digue définitive, ce qui se déroule jusqu’en septembre, en obturant le vide laissé entre les gabions par de gros blocs, en versant par camions des matériaux tout venant, en coupant les pieux au niveau de l’eau, en posant un grosse quantité de mâchefer pour assurer l’étanchéité de l’ouvrage, et en continuant apporter des matériaux jusqu’à obtenir une hauteur de 1, 20 m au dessus du niveau de l’eau. La digue du Palluel étant fermée, il fallait encore obturer celle de l’Isère. Préparés sur la digue du Palluel, les gabions sont acheminés sur la lèvre amont de l’Isère via une voie posée sur une passerelle en travers du canal. La lèvre aval étant fixée, les opérations se sont déroulées de façon similaire à ceux de la première brèche.